Sa Porsche carrera attendait en double file devant la gare
de Kyoto. Moi, j’arrivais de Tokyo par le Shinkanzen
un jour d’octobre. Koyuki très classe comme toujours, sac à main Vuitton,
lunettes Dior, Jean Dolce & Gabana et diamants aux doigts, me fit
l’accolade en me souhaitant la bienvenue. « J’aime ton accent français ». C’était la deuxième fois que
j’entendais la formule de sa bouche.
C’était Michel qui me l’avait présenté à Tokyo quelque temps
auparavant. « Koyuki est là pour le week-end ; ça fait très longtemps
que je ne l’ai pas vue mais j’ai rendez vous avec elle ce soir. Viens avec moi
si tu veux », m’avait-il dit. Nous avions pris sa moto et traversés Tokyo
comme des papillons. Les lumières partout comme dans un jeu vidéo. Le plaisir
d’éprouver les vibrations de l’engin et le goût des pneus sur l’asphalte qu’on
a l’impression de sentir sur sa langue.
Depuis son Kansai natal, Koyuki était montée à Tokyo pour participer à un stage
de danse Egyptienne. Toujours cet intérêt des japonais pour l’exotisme. Elle
avait loué une suite au Park Hyatt, le plus grand hôtel de Tokyo peut être,
l’hôtel de lost in translation. Rendez
vous était pris dans le bar du 52ème étage, le fameux New York bar.
En arrivant, je revis tout de suite l’image de Francesco avec qui j’avais bu un
whisky au même endroit, deux semaines auparavant. La discussion avait porté
notamment sur les rencontres dans les hôtels. Francesco avait quitté la guest house où nous nous étions connus
quelques jours auparavant pour se réfugier au Keio, un hôtel de luxe. Il m’avait
raconté qu’il y avait rencontré une jeune femme seule dans le bar cossu et
désert avec laquelle il avait passé la soirée. Ne pas cloisonner sa vie et se
cantonner à un seul milieu : partout il y’a des gens à connaître. C’est ce
que nous nous étions dit en substance.
Je ne savais pas que je retournerais au New York avec d’autres compagnons. Cette
fois nous parlions de la France, du Japon, de nos vies et du vin. Nous avions
dans nos verres de l’opus one de la Napa
valley.
Entre deux gorgées, Koyuki décrocha son iPhone. C’était une de ses amies.
Aller à Roppongi maintenant ? Non
un peu tard. Et puis on n’a pas fini la bouteille. Non désolé, on reste
là. Nous étions si bien tout en haut
d’une des plus grandes tours de Tokyo dans un Jazz très chic et adéquat. Vers
deux heures le bar ferma. Michel repartit sur sa monture d’acier. Je restai.
Elle aimait discuter avec moi apparemment. Je finis par la suivre dans sa suite
immense où elle me servit un verre de Saint-Estèphe. Les lumières de la ville qui
se mêlaient avec le luxe de la pièce, la volupté, le silence, nos souffles et
celui de la climatisation faisaient glisser les heures encore plus rapidement.
Le lendemain je me promenai une partie de la journée dans le jardin japonais du
grand parc de Shinjuku. Je la revis le soir. Elle m’avait convié à un spectacle
de danse auquel participait sa prof, une californienne venue à Tokyo pour
l’occasion. Nous nous étions retrouvés dans le restaurant népalais qui abritait
l’évènement. Je fis la connaissance de deux de ses amis tibétaines, Jampa et Jinchen.
Ce soir là, j’en appris autant sur la danse du ventre que sur le Tibet. Vers
onze heures nous avions déjà glissé à Roppongi, et je les trainais dans une
boite salsa pour un mojito et
quelques passes de danse. L’endroit, minuscule, était bien trop bondé pour être
supportable bien longtemps. Nous nous réfugiâmes vite ailleurs, dans un truc à
la mode, plus grand et plus confortable.
Enfin, à trois heures du matin, lassée des compromis de la nuit, elle
m’invitait dans sa suite du Park Hyatt pour un deuxième diner sur un coup de
tête. Le majordome en gants et livrée apporta des cloches couleur d’argent qui
chapeautaient d’immenses assiettes blanches contemporaines. Il versa le Margaux
d’un rouge presque noir dans d’énormes verres qui sur la nappe blanche
donnaient à la nuit une saveur de cour romaine et de Satyricon. Une Cléopâtre au petit nez asiatique me regardait en me
disant : j’aime ton accent français.
C’est une dizaine de jours après son retour dans le Kansai, que je lui
envoyai un message. Je voulais savoir si je pouvais passer la voir. Viens chez moi bien sûr.
Dans la Carrera, je pris mon sac sur les genoux, après avoir
renoncé à le fourrer dans le coffre minuscule à l’avant du véhicule. Elle
démarra en trombe et nous nous éloignâmes rapidement de la gare. Le moteur
ronronnait sereinement, largement en sous régime dans la circulation urbaine.
En quelques minutes, nous étions arrivés au nord de la ville, dans un quartier
cossu. « Mi casa es tu casa »
me dit-elle. Elle m’invita à poser mes affaires dans la chambre avant de me
faire visiter son incroyable demeure où elle vivait seule dans la plus somptueuse
et délicieuse des oisivetés, celles des grandes fortunes. En même temps, je
repensai à cet hôtel sordide à Florès, près de Tikal, le grand site maya du
Guatemala, où les cafards courraient sur les murs. Il y’a une dizaine d’années,
pour une poignée de quetzal, j’y
avais partagé une chambre avec un québécois de passage. Une réplique du film avant la nuit adapté du roman de
Reinaldo Arenas qui m’avait marquée à vingt ans, me revint comme une évidence :
« Si tu veux écrire un jour, alors il va falloir que tu vives des
expériences très nombreuses et que tu rencontres des gens très
différents ».
Maintenant,
j’allais vivre la Dolce Vita, en version
nipponne.
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