Des regards, des visages, des figures. Tout s’accélère. Des
corps, silhouettes éparses et fugaces. Des yeux évanescents. Dix, cent, mille,
dix mille, cent mille, un million. Un vertige. Le bruit des pas sans plus. Un
bruit sourd, presque silencieux. L’ordre règne. Des directions assurées, des
trajectoires décidées que rien ne peut perturber. Qu’un obstacle surgisse et
alors un contournement calculé s’opère. Des myriades de destins qui se croisent
l’espace d’un instant.
Ma respiration s’accélère. Je ressens un mélange de
grisement et d’agacement, sentiments exacerbés sans doute par la fatigue. Mon
cerveau est un kaléidoscope d’images clignotantes. J’avance. De côté, à gauche,
à droite. Quelle direction prendre maintenant ? Une foule s’engage dans un
des couloirs de l’abdomen géant ou j’évolue. J’y suis aspiré. Mauvais côté.
Contresens. Comme des coups de sabre striant l’air devant moi, ils me
contournent avec un rythme de musique électronique. Pour éviter toute collision
je me retourne à 180°. Je prends la direction inverse et fais simultanément
quelques pas de côté pour m’approcher de la file opposée. A nouveau 180° de
rotation. Je reprends l’équilibre et repars pour ne pas être happé par le
rouleau compresseur. Me voici dans le bon flux. La matrice chaude et froidement
objective me digère. Je coule dans une sauce épaisse. Mes yeux sautent dans
tous les sens avec la vélocité d’un radar qui balaierait l’horizon d’un
mouvement saccadé et chaotique. Je me sens une créature des temps moderne,
animé par un instinct de survie fébrile et pressé, sans plus de temps pour le
moindre questionnement hors du champs de la nécessité. Me sortir de là. Trouver
la sortie.
Les couloirs de la station de métro de Shinjuku sont sans
doute les plus denses, les plus nombreux et les plus fréquentés au monde. Au dessus de cet entrelacs
souterrain , le même fourmillement implacable règne dans la plus grande gare
ferroviaire du monde, circuit intégré de matière et de chaire Shinjuku centre de Tokyo, centre du Japon,
centre du monde. Un million de personne s’y croisent chaque jour, la plupart du temps sans se
parler.
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