A l’Onsen



J’avais bien passé une bonne demie heure, nu, dans le bain brûlant, dans la vapeur de l’eau mêlée de souffre et lourdes des saveurs des minéraux venus du fin fond de la terre. Le liquide coulait dans le bassin de marbre gris à plus de 60°C, de quoi vous mettre un bon coup sur la tête. Mon corps vautré sur le rebord était devenu presque insensible ; je le sentais comme fondre et quand je fermais les yeux, j’avais l’impression d’être devenu moi-même de l’eau. J’entrouvris à nouveau les paupières. Un homme éclaboussait de ses mains la divinité sculptée qui surmontait le conduit qui projetait le flot  à environ deux mètres au dessus de la surface. Il fermait les yeux de temps à autre et on l’entendait vaguement susurrer d’absconses invocations. Il célébrait le dieu de la source, selon les rites du shintoïsme, la religion la plus ancienne du Japon. Une forme d’animisme en fait. Les éléments de la nature sont sensés être habités par des esprits, le Kamis. Ceux des Onsen sont particulièrement vénérés, peut être parce que ces sources chaudes d’origine volcanique viennent de si profond qu’elles sont nimbées d’un mystère que l’on craint depuis la nuit des temps et qu’il est préférable d’essayer de dompter. 
Tous les jours, le Dieu du Dogo Onsen voyait ainsi des centaines de corps nus, de tous âges et de tout acabit défiler devant lui. Si la plupart ne le regardait même pas et considérait toutes ces croyances comme bonnes pour les poubelles de l’histoire, d’autres au contraire, les anciens souvent, mais aussi quelques jeunes gens que les jeux vidéos ne comblaient plus tout à fait, le remerciaient en priant. Que lui disaient-ils exactement ? Merci pour l’eau qui coule et me réchauffe ou quelque chose comme ça ? Le contenu des prières, pas celles qu’on récite, celles qu’on invente dans sa tête, m’a toujours intrigué. Que dit-il ce type là bas ? Et lui qui marmonne dans sa barbe…quelle formule ésotérique est il en train de prononcer avec son air si savant ? Rien peut être de bien surprenant. Rien du tout même probablement.
Comme les romains le faisaient dans l’antiquité, les japonais prennent régulièrement des bains collectifs dans des Onsen, des sources thermales naturellement chaudes à cause de la forte sismicité du pays. 
Il y’en a partout au Japon, des milliers en fait. Il n’a pas que des inconvénients à être un pays assis sur une faille tectonique. La nature vous balance ses effluents du tréfonds. L’eau qui serpente dans les anfractuosités de la lithosphère se chauffe et se gorge d’oligoéléments avant de rejaillir comme d’une corne d’abondance au hasard, pour le plus grand bonheur des peaux, des dos, et des articulations. On se baigne pour le plaisir mais aussi pour la santé. Au delà du bien être qu’ils dispensent, les Onsen sont sensés aussi avoir des vertus curatives.
Si les hommes et les femmes sont séparés, entre soi, on se ballade dans le plus simple appareil dans les vestiaires et les salles où l’eau coule à profusion. Il y’a quelque chose de primitif, d’authentique, de réconfortant, à circuler parmi ses semblables sans les artefacts habituels, quelque chose de sein et d’essentiel.  L’excès de pudeur sépare les hommes et les rendent distants : nus, soyons  libre et égaux dans notre humanité. C’est sein pour la société : se baigner ensemble, ça détend, ça rend modeste et ça va mieux ensuite.  A la maison aussi, les japonais raffolent du bain. Chez eux, pas une soirée qui ne s’achève dans la baignoire. 
En levant les yeux vers le plafond blanc à caisson j’essayais de me rappeler le voyage de Chihiro de Miyazaki. Le Dogo Onsen de Matsuyama, ville de taille moyenne de l’île de Shikoku, lui a servi de modèle pour représenter les immenses bains qu’on voit dans son film. Le bâtiment, sublime, fut reconstruit à la fin du 19ème siècle à l’identique d’une construction médiéval. Il est d’un pittoresque à vous faire croire que vous avez pris une machine à remonter dans le temps. De l’extérieur, il ressemble à une pagode. A l’intérieur, on s’émerveille de ces petits rideaux japonais très courts, les noren, de ce bois sombre omniprésent sur les murs et les parements des escaliers labyrinthiques qui courent partout. On entre par la façade principale. Après la caisse, des couloirs desservent les différents vestiaires et les différentes catégories des bains. Les prix diffèrent mais l’eau reste la même. On achète simplement un peu plus de tranquillité. Le bain des esprits, les bains des dieux…Des noms charmants qui se mélangent au bruit de l’eau quand on se les répète intérieurement. Une fois déshabillé, il faut prendre une douche dans une pièce collective où chacun s’assoit sur un petit tabouret de bois minuscule. On se tartine de savon, de shampoing, et c’est propre comme un sous neuf qu’on est autorisé à s’enfoncer dans la grande vasque lustrale.


Une demi-heure plus tard, j’étais assis sur un petit coussin posé sur l’immense tatami de la grande salle à thé. Cela faisait déjà un moment que je méditais complètement immobile dans la position du lotus, corps et esprits détendus, parfaitement  fusionnels. Le poids léger de mon Yukata, le terme de kimono est réservé aux vêtements d’extérieur, me donnait l’impression que je ne m’étais pas rhabillé en sortant du bain, tandis que le vent frais, qui venait de l’extérieur, traversait les claies de bois et s’échouait sur ma peau encore brûlante. Je sirotais de temps en temps un peu de thé qu’une des quatre employées postées dans la salle m’avait apporté avec une grande célérité, très japonaise, dès que j’étais entré. J’ai rarement vu un peuple avec autant d’énergie. La paresse n’est pas japonaise. Toujours cet empressement au contraire à vous servir, toujours cette précipitation même. Les japonais  courent parfois pour vous apporter plus vite quelque chose, vous rendre un service, vous donner un renseignement. Souvent avec une tension dans le corps un peu maladroite, mal assurée, mais tellement attendrissante et si charmante. Parfois aussi ils vous devancent. Ce papier que vous avez dans la main quand vous cherchez une poubelle, quelqu’un vous le prendra de bon cœur ; cette tasse que vous rapportez pour aider alors que vous n’aviez pas à le faire, un autre se précipitera vers vous pour vous aider ; votre casier du vestiaire que vous cherchez car vous en avez oublié le numéro, un homme tentera de le retrouver avec vous. Et tout à l’heure cette femme qui a fermé sa boutique pour m’accompagner là où je voulais aller. Dans le tramway aussi. L’éternel cinéma. Le chauffeur qui descend de son habitacle pour répondre à ma question… Entre eux, c’est une autre histoire bien sûr. Non pas qu’ils ne soient pas polis non, mais, sans l’altérité qui joue, le dévouement est plus mécanique. Voire n’est plus que mécanique. 
Tout se passe comme si vous leur faisiez honneur d’être chez eux, du moins quand vous êtes européens. Ils ne comprennent pas très bien d’ailleurs pourquoi vous y venez, chez eux. Quoi le Japon…Qu’est ce qu’il y’a d’intéressant ici ? Vous, vous avez Paris, le Mont Saint Michel, et les Alpes. Ah ! Les Alpes ! ça les fait tant rêver...nos stations de ski et tout et tout. Ils pensent à peine qu’ils en ont aussi de superbes à Hokkaido, à Honshu même…Ils ne voient pas non plus l’intérêt de leur temple, de leur musée et de leurs artistes. Hokusai ? Mais il y’a Van Gogh surtout. A moins, que tout ce discours ne soit feint. La politesse passe au Japon par la dévalorisation de ce qu’on est et de ce qu’on a alors qu’on rehausse au contraire tout ce qui touche à l’interlocuteur dont on se sent l’obligé. Et les étrangers, les européens surtout, sont fréquemment considérés comme des invités, dont chacun se sent responsable et qu’il faut à ce titre traiter avec déférence.
Quel personnage ce  Munéo que j’ai rencontré dans mon hôtel. On avait pris le thé et discuté deux heures. Quelques années avant, il avait passé plusieurs semaines à Arles, comme ça, pour se rendre compte de l’endroit. Il m’a dit : je commence à comprendre pourquoi Van Gogh a tant peint ici…Les gens sont si froids et si peu sympathiques. Ils restent entre eux. Quand  j’ai pris une location et que je n’ai plus claquer mon fric dans les hôtels et les restos… Je voyais trop ce qu’il voulait dire. Pourquoi les français sont ils aussi souvent désagréables avec les touristes ?
Un homme me fit sortir de mes pensées. 
- Bonjour, je peux parler avec vous ? L’homme était assis juste à côté de moi. 
- Bien sûr ! 
Combien de fois on m’avait parlé comme ça, l’air de rien, un peu partout. Timides les japonais ? Oui et non. Entre eux davantage qu’avec les étrangers finalement. Aborder un type qui vient de loin c’est sans doute moins suspect, plus légitime. Ca paraît normal non, de demander à quelqu’un qui vient d’ailleurs ce qu’il fait là, où il habite. Et puis on est à peu près sûr de tomber sur quelqu’un de bien. Enfin ça dépend quel étranger bien sûr. Mais pour un japonais, un occidental au Japon n’est pas forcément quelqu’un de tout à fait infréquentable.  Entre soi, on prend plus de pincettes. Il va me prendre pour quoi si je lui parle comme ça ? Et puis qu’est ce que je vais lui dire ? Salut ça va ? Tu les fais où tes courses ? Enfin, tout dépend du degré d’’imagination. Pourquoi parle-t-on à un inconnu ? Pour une info, la gare s’il vous plait, un truc qu’on veut obtenir, le besoin ou le plaisir de communiquer, de séduire, de faire une rencontre, de lier une amitié, une relation amoureuse ? Si on ne laisse pas sa chance au hasard, il ne se passe jamais rien.  
Il était venu à Matsuyama pour un congrès de kinésithérapie ou quelque chose comme ça, je n’ai pas tout compris exactement. Environ trente ans. Il venait d’arriver par avion de Kumamoto, sur l’île de Kyushu. Une jeune femme nous rejoignit au bout de quelques minutes. La salle du thé était commune pour les deux sexes. Est-ce qu’il m’aurait parlé s’il  avait su qu’elle n’allait pas venir le rejoindre ? Voulait-il juste communiquer avec moi ou jouer les hommes sociables pour se gonfler et tenter de la séduire un peu plus? Il me la présenta comme une de ses collègues. 
La vingtaine, sa figure me fascinait. Elle était tellement nippone par les expressions de son visage, le sourire très prononcé qui l’illuminait et les sons si caractéristiques qu’elle laissait échapper. Ces fameux ééééééééé qui monte et qui figure l’étonnement pour un oui ou pour un non. Quand elle parlait, je la dévorais du regard, en essayant d’être discret pour ne pas me faire remarquer par l’homme. Eéééé. Elle aimait les mangas. Eééééé. Oui je connaissais Dragon Ball. Eéééééééé . J’étais au Japon pour 5 mois. Eéééééé. Non je n’étais plus étudiant .Je travaillais mais m’étais arrêté plusieurs mois pour voyager. Eéééééé. Certains en France aussi mangeaient de la viande de cheval, parfois crue même, comme à Kumamoto, la ville d’où elle vient. Ca s’appelle le tartare de cheval chez nous. Eéééé. Elle adorait ça. Je me disais qu’une femme qui aimait la viande crue de cheval devait avoir une énergie à revendre en toute circonstance et je la regardais avec encore plus de tendresse. Puis ce fut la photo. Elle alla chercher l’appareil. Je posai avec mon interlocuteur. Clic clac. Elle prit sa place et ce fut lui qui mania le bazar. Clic clic. Voilà, j’étais dans la boite. Un français à l’Onsen qu’on a rencontré. Très sympa. Il voyageait pendant cinq mois au Japon. Il improvisait tout, n’avait aucun calendrier précis. Bien sûr un peu hors norme. 
Je repensai à l’Inde, à Manali dans l’Himachal Pradesh. Je me baladais un jour dans un parc du centre ville. Deux jeunes gens qui s’étaient mariés dans la journée et posaient en grande pompe devant un photographe. Elle sur un banc, plus de dentelles et de mousseline qu’un emballage de pièce monté japonaise. Lui, la fleur à la boutonnière, endimanché comme pas possible. Hep Hep !! Il avait voulu que je pose avec elle. Il s’était décalé, avait demandé au photographe de me portraitiser, juste avec elle. J’ai pensé : elle est pas mal…s’il se retourne, je lui roule une pelle. Mais non, il ne la pas lâché du regard. Après la photo, il a vite repris sa place. Le dimanche, ils montrent ça à leurs relations m’avait on expliqué. Ils disent : c’est notre ami américain, notre ami français, notre copain allemand. Ca fait chic en Inde d’avoir des relations en Europe. 
La photo faite, les deux interlocuteurs japonais sont partis en me remerciant d’avoir parlé avec eux. Mais non, c’est moi qui vous remercie...Sumi masen et compagnie. Un truc que j’apprécie ici. Cette courtoisie qui suinte partout. D’accord ça peut nuire à la spontanéité, ça empêche parfois d’être direct et franc mais quand même, c’est délicat. On est mal léché en France. Tu vois un français qui dirait à un asiatique, sans savoir d’où il vient, bonjour, je peux parler avec vous s’il vous plait ? Et de le remercier de lui avoir accordé cinq minutes en partant. Au Japon, j’ai vraiment découvert le plaisir d’être dans un monde de gens bien élevés. Je sais pas si je supporterai au retour les regards agressifs, les merdes de chiens par terre etc.
En sortant, j’ai été rattrapé par la manche par une jeune femme employée du petit musée, désert, qui semblait s’ennuyer ferme. Venez voir par là. Toujours ce sourire enjôleur. Oui j’arrive. Ne partez pas sans avoir vu la pièce consacrée à Matsumé. Il venait là au début du siècle, prenait un vestiaire privé au 3ème étage. Quelques vieilles photos sur les murs et une bande son racontaient l’histoire de Soseki Natsumé. Un des plus grands écrivains japonais. Gloire de la ville aujourd’hui. Il était prof de maths au lycée du coin au début du vingtième siècle, célèbre notamment pour son Botchan, une histoire de prof avant-gardiste qui réveille ses élèves et choque ses collègues, et au-delà une analyse au vitriol de la nature humaine. Par la suite, il écrivit ce qui est reconnu comme son chef d’œuvre,  je suis un chat. Il se met dans la peau de cet animal et glose sur son maître. Des lettres persanes en quelque sorte. A croire que le Dogo favorise la croissance des écrivains : il y’a aussi Masaoka Shiki, le maitre du haïkus qui vient d’ici. Il a un petit musée à côté de l’Onsen d’ailleurs. Célèbre pour avoir modernisé le genre paraît il. A Matsuyama, on organise toujours des rencontres annuelles internationales pour ceux qui aiment faire des 5-7-5, soit les 17 pieds d’un Haiku. Autre grand nom du lieu, Takahama Kyoshi. 
Elle me montra ensuite la salle de l’empereur qui ne venait jamais. Hiro-Hito y avait pris deux bains au cours de sa longue vie. Depuis plus d’empereur. Pourtant tout était encore prévu. Le bain particulier, vide, les WC privés, avec une boite amovible que l’on tirait du dessous afin d’en offrir le contenu au médecin attitré. Celui-ci en portant les choses à ses sens, pouvait selon les antiques méthodes d’analyses déterminer l’état de santé de leur propriétaire et prescrire éventuellement un changement de régime alimentaire. N’est pas demi-dieu qui veut. Fils de la déesse Amaterasu, l’empereur du Japon est issu de la plus vieille dynastie régnante au monde, la dynastie des Yamato, sur le trône depuis le 3ème siècle. 
Sauf que les japonais s’en contrefichent. Elle, je lui pose la question. Qui est l’empereur maintenant ? Elle cherche un moment, finit par trouver. Akihito. Fils de Dieu, l’empereur ?…Dans tes rêves…Et t’aurais pas vu la vierge toi non ? Plus personne ne croit à ça au Japon. 
Elle souligna des petits détails que je n’avais pas vu. Sur certaines des poutres du plafond, on distingue des petits macarons sculptés en forme de bulles ou de hérons, symboles du Dogo. Sa remarque m’interpelle sur un autre plan. On passe à côté d’une infinité de choses. On ne remarque pas. Et puis quelqu’un met un doigt. T’as vu ? Tu sais ? Une dimension apparaît, une couleur nouvelle brille. Toute la vie ça dure. Toute la vie, si tu veux, des gens qui ne se doutent de rien, vont sans s’en rendre compte faire un déclic chez toi. Tu peux voir un détail que tu n’avais jamais distingué en passant dix mille fois au même endroit, dans la même rue, dans ton immeuble, sur toi-même, tes proches. La même chose avec les idées, le savoir. Et encore plus fort avec ton destin. Un jour tu vois quelqu’un qui te dis quelque chose que tu retiens toute la vie parce que tu te dis que ça, oui, c’est un truc de fou, c’est une clé, c’est un code que tu vas utiliser pour exister. Ce qui est dingue, c’est que les gens qui te marquent, ils ne s’en rendent pas compte. Parfois oui ; parfois non. Ils ne devinent pas de toutes les façons qu’ils ont bouleversé ta vie. Toi non plus, pas toujours en fait. Ou pas tout de suite. Tu peux comprendre un truc qu’on t’a dit seulement cinq ans après, par une opération consciente ou inconsciente. De même, quand cela se produit, la mémoire de ton édificateur peut s’être envolé au royaume de l’ingratitude. 
J’avais bien vu qu’elle n’osait pas me parler anglais au début. Très gêné. Comme beaucoup de japonais qui ont un anglais très approximatif et qui n’osent pas trop le montrer. Elle m’avait tendu un papier avec des notices bien écrites. Pendant la visite, quand elle butait sur un mot, une idée, elle me montrait où je pouvais lire le reste. Je la regardais dans les yeux et l’aidais à continuer. Ca me touchait tellement. Comment lui dire : te prends pas la tête, je me fous que ton anglais soit pourri, si tu savais comme le mien l’est aussi ! Ose, parle moi, bute sur les mots, essaye toi sur moi. J’avais envie de lui faire plaisir, de l’aider. Je la sentais déborder d’énergie positive. Et vous, est ce que vous aimez les bains lui demandais-je ? Moi ? Non ! pas du tout ! Je lui souris.



Avant de partir, je me suis assis sur un fauteuil  énorme, un fauteuil masseur. Une pièce de cent yens dans le monnayeur et les mains mécaniques sous le cuir vous triturent le dos dans tous les sens. Un truc incroyable. Une vraie jouissance. Après quinze minutes, on est réconcilié avec sa carcasse. Les massages, on devrait se faire ça plus souvent en France. Ca nous adoucirait. Tous ces gens qui tiennent le coup avec des psychotropes. Ils devraient plutôt prendre le temps de se masser. J’avais vu ça au Vietnam, à Saigon il y’a quelques années. Des gens, torses nus dans les rues, assis comme ils pouvaient qui se massaient les épaules. Ca m’avait bien plu. 

En sortant je me cognais la tête contre une des poutres du Dogo, trop basse pour moi. Un bruit sec. Une employée se précipita. Les autres crièrent à ma place. Je ne sais pas pourquoi mais à ce moment, j’ai pensé à la bombe d’Hiroshima qui avait éclaté en face, en 45, de l’autre coté du détroit qui la sépare de Matsuyama. Il y’avait des gens très âgés dans le Onsen. Je m’étais certainement baigné avec des gens qui l’avait vu de leurs yeux ce satané champignon. Des témoins de la disparition d’un monde, de l’effondrement de l’empire japonais et de toute sa grandiloquence, de ses victoires, son infini supériorité agressive, du triomphe arrogant de sa civilisation…Jusqu’à ce que l’atome balaye tout cet agencement. Je regardai vers le ciel comme pour m’assurer que je ne m’étais pas trompé d’époque. La lune presque pleine et le fond de l’air frais donnaient à l’Onsen, dont la lumière chaude jaillissait des fenêtres, un air d’havre de paix. Le bonheur des vivants, juste de respirer dans la nuit. 


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