Un petit carnet de cuir noir trouvé dans le parc Ueno


Lors d’une promenade dans le parc de Ueno, à Tokyo, j’ai trouvé un petit carnet relié de cuir noir. Je l’ai ouvert négligemment et j’ai découvert  à l’intérieur et à ma grande surprise quelques notes en français.  Je vous en fais la confidence ici, sûre que vous n’irez répéter à personne cette indiscrétion sur la vie de l’auteur de ces quelques mots, un certain Jean Jacques.
- Brouillon d’une lettre à ses parents

Chers parents,

J’espère que vous allez bien. Ma journée a été extraordinaire. Après mes conférences universitaires, j’ai pas mal visité Tokyo, ville très intéressante. 
Portez vous bien, je vous embrasse bien fort.
Jean Jacques.

- Brouillon d’une lettre à une certaine Marie
Chérinette, 
Tu me manques énormément. Voici plusieurs jours que je suis à Tokyo et déjà je ne supporte plus de te savoir aussi loin. Aujourd’hui j’ai été au musée des arts japonais dans le parc de Ueno. Une vraie merveille. Mais j’aurais voulu que tu sois là pour contempler tous ces chefs d’œuvres de l’art asiatique avec moi. J’ai dû mal à me faire à l’idée de voir tout ça sans partager avec toi, sans savoir que tes yeux voient la même chose que moi. J’aurais tellement apprécié d’admirer les magnifiques estampes japonaises de Hokusai en sentant ta main dans la mienne dans une communion esthétique partagée. J’ai hâte de te retrouver. A mon retour en France, je te raconterai le Japon devant une bonne bouteille de vin, dans notre restaurant favori, dès que ma femme partira en week-end voir ses parents. Je te couvre de mille baisers surtout là où tu sais. 
Je t’aime. 
Jean Jacques.

- Brouillon d’une lettre à une dénommée Cécile
Chérie,
Je suis bien arrivé au Japon. Mon hôtel est plutôt bien placé. Je suis proche du centre de conférence de l’université de Waseda, une des plus importantes du pays. Comme tu dois t’en douter, je travaille beaucoup pour fignoler mes communications. Le reste du temps, j’écoute celles des autres. Etre à Tokyo sans pouvoir profiter du Japon…c’est vraiment frustrant. Enfin, nous aurons peut être un jour l’opportunité d’y aller pour les vacances, tous les deux ou avec les enfants. J’espère que tout se passe bien à la maison. Je me doute que tes journées sont bien remplies, comme d’habitude. Mais avec ton sens de l’organisation, tu dois faire des miracles. Embrasse bien Jules et Océane. 
Je t’embrasse aussi.
Jean Jacques.

- Brouillon d’une lettre à un certain François
Salut François 
Alors amigo ? Ca roule à Panam ? Je suis à Tokyo depuis une semaine. Tu sais que je participe à un congrès sur la littérature japonaise contemporaine. J’ai préparé une communication sur la vision de la France dans la littérature japonaise au regard de celle du Japon dans la littérature française. J’ai expédié rapidement mon pensum et du coup je passe mes journées à vaticiner dans cette ville incroyable qu’est Tokyo. Inutile de te dire que je ne vais pas me coltiner les bla-bla de mes collègues alors que je suis au Japon ! J’ai bâclé quelques musées pour la forme mais en fait je passe les trois-quarts de mon temps à faire des rencontres. Si tu voyais les filles d’ici…Incroyablement bonnes. Je vais en boite quasiment tous les soirs, et passe souvent mes nuits entre d’adorables petits bras caramels. Heureusement que Cécile n’est pas là… je te dis pas comme ça fait du bien de relâcher la pression et de s’éclater un peu. 
J’espère que ta femme et tes enfants se portent bien. Tu me raconteras ta semaine de vacances à l’île de Ré. J’ai hâte de me faire une bonne bouffe avec toi, et de péter une bonne boutanche de rouge sur un bon claquos. 
A bientôt,
Jean Jacques.

- Brouillon d’une lettre au doyen de l’université de Paris IV.
Monsieur le doyen,
Je vous remercie vivement pour l’honneur que vous m’avez fait en m’envoyant à Tokyo pour participer au colloque  international sur la littérature japonaise contemporaine et son rayonnement dans le monde, organisé par Waseda. J’espère avoir su valoriser notre université avec ma communication qui, je dois vous le dire sans fausse modestie, a été applaudie et m’a valu les hommages du ministre de la culture du Japon, présent dans l’amphithéâtre. 
Par ailleurs, les collègues du monde entier ont fait des prestations de qualité qui m’ont permis de faire le point et de mettre à jour mes connaissances sur l’extraordinaire prolixité du monde des lettres nippon d’aujourd’hui. Je vous ferai parvenir dès mon retour un petit compte rendu des conférences auxquelles j’ai assisté.
Je vous prie de croire, monsieur le doyen de l’université Paris-Sorbonne, en l’assurance de ma très respectueuse considération, 
JJ. Fréri

- Extrait du journal intime de Jean Jacques
Le choc. J’aime cette ville. Toutes ces femmes me tournent la tête. Tout plaquer ? Laisser Cécile et les enfants ? J’y pense constamment. Je suis comme happé par le vertige d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie. Trop de sécurité m’annihile. J’ai envie d’être fou, de tout risquer comme au Poker. La vie est trop courte. J’ai quelques atouts pour partir. Un peu d’argent de côté, quelques contacts à Tokyo et la fille que j’ai rencontrée qui pourrait m’héberger quelque temps si je revenais pour de bon. Je ne suis pas trop mal foutu, en bonne santé, français par-dessus le marché. Je sens qu’il y a une place pour moi ici si je le décide. Le dilemme. Que faire ? Ecrire me fait du bien, me clarifie les idées. Je vais rentrer un moment, puis préparer mon départ…On verra bien le temps que ça prendra. Où alors je reste, je ne reviens pas, je disparais. Il y’a des centaines de gens qui disparaissent chaque année en France sans laisser de trace. Personne, pas même leurs proches, ne savent où ils sont passés. Morts ? Exilés ? Qui peut dire. Mais les enfants…Non je ne peux pas faire ça. La culpabilité qui va me ronger tout le reste de mon existence. C’est impossible. Et puis il faut que j’assume ma paternité. Une question d’amour propre aussi. Pourtant…Et si je vivais ici en les prenant pour les vacances. Cela serait extraordinaire pour eux, une vraie ouverture vers une autre culture, un atout qui grâce à moi transformera leur vie. Oui mais Cécile ? Elle ne me laissera jamais les prendre. Elle va faire une action en justice et obtenir la déchéance de mes droits à la paternité. Elle sera capable du pire avec moi. Je la connais trop. Elle ruminera ça pendant des années, son visage se fermera, ses lèvres se crisperont, elle recommencera peut être sa vie mais ne me pardonnera jamais et ne me fera pas de cadeau. Elle se servira des enfants pour me faire bisquer. Les femmes possèdent les enfants, au moins jusqu’à ce qu’ils deviennent grands et les hommes ne sont que des assistants d’éducation autorisés dont le bail est renouvelable si elles le veulent bien. Rien que de penser à ça, et j’ai envie de partir, à la limite rien que pour l’emmerder. Je ne supporte plus qu’elle me néglige à ce point. J’ai envie d’avoir une vie amoureuse. Avec elle, il y en a que pour les gosses. Certes, il y’a bien Marie. Voilà cinq ans que je la connais. On s’éclate de temps à autre mais franchement, elle ne me correspond pas du tout. Au lit et encore. A part ça, le désert. Elle n’a rien à dire. Non vraiment y’a rien qui me retient.
- Notes griffonnées sur la dernière page 
Numéro de téléphone
Miho : 090 1978 091
M. Plénard, avocat spécialiste en droit de la famille. Paris 13 : 0145678990

Notes sur les horaires des vols Paris Tokyo pour le mois de juin 2009 
Paris – Tokyo, aller simple
Avec Japan Airlines : 3 vols par jour. 10H05 ; 13H07 ; 18H17 au départ de Roissy Charles de Gaulles
Avec Air France : 6 vols par jour. 9H47 ; 11H13 ; 13H28 ; 15H09 ; 16H01 ; 19H56

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