Une journée avec deux tokyoites


Les impossibles possibles à Tokyo :
1) Trouver quelqu’un qui a du temps libre un lundi alors que les japonais passent pour les travailleurs les plus débordés au monde.
2) Jouer au golf, sport national, au centre de la plus grande mégalopole mondiale.
3) Manger à volonté pour trois francs six-sous alors que la place est réputée une des plus chères du monde ?
Certains jours sont fériés au Japon. Environ seize jours dans l’année. Chiffre relativement important qui vient tempérer le faible nombre de jours de vacances des japonais. Si on les ajoute à la quinzaine de jours des vacances légales auquel peut prétendre chaque salarié, cela fait presque un mois…On est donc loin du cliché de la fourmilière sans répit, paradoxalement fatiguée à l’idée de se reposer. Quand les jours fériés tombent en semaine, les autorités font souvent glisser les précieuses journées jusqu’au lundi de sorte d’étoffer les week-end. Geste relativement aisé puisque les jours fériés japonais, depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, ne font plus référence à des évènements historiques ou religieux, précisément fixés dans le cycle calendaire. Au contraire, il s’agit de fêtes laïques, potentiellement beaucoup plus malléables. On fête les personnes âgées, la paix, les enfants etc.
Un lundi de la sorte donc, Toshi, mon ami japonais, jeune salary man, et Tanugawa, un de ses collègues, sont mes guides pour une session golf en plein Tokyo…
En sortant du métro nous arrivons au practice en quelques minutes de marche. Pour qui l’ignore, un practice n’est pas un vrai terrain de golf. Il s’agit simplement d’une pelouse, de la taille d’un demi terrain de foot, complètement encadrée par des filets géants, sur laquelle on s’entraine à lancer des balles de golfe. Il s’agit de perfectionner sa technique de swing et d’apprendre à viser. Sur un côté du terrain, les golfeurs s’alignent les uns à côté des autres de plein pied par rapport à la pelouse mais aussi souvent à l’étage quand il y’a une plateforme permettant de réunir les joueurs sur deux niveaux, et donc de multiplier la productivité du practice par deux. En face, la pelouse, sur laquelle des bandes et des drapeaux figurent autant de cibles affectées d’un certain nombre de points.
A l’accueil nous louons pour une heure deux emplacements sur le practice ainsi que quelques clubs puisque nous n’avons pas de matériel. En revanche, la plupart des japonais arrivent totalement équipés dans ce genre d’endroits. Sac de golfe rutilant affichant le logo des grandes marques, chaussure, polo Lacoste, tenue complète de golfeur. Il s’agit de se saper autant que d’aller jouer.
Tanigawa qui a déjà un peu l’habitude de jouer, nous enseigne rapidement les rudiments techniques du jeu. La préhension du club, la position du corps, le mouvement du swing, c'est-à-dire le geste à faire pour lancer la balle. A nos pieds, des balles sortent automatiquement du sol et viennent se ficher sur les petits supports de caoutchoucs. Nous en avons lancer des centaines. Assez fun je l’avoue, bien que fatiguant pour le dos à cause de la torsion imposée par le mouvement.
Simultanément, des dizaines de joueurs font la même chose que nous. Des myriades de balles sont projetées sans discontinuer. Impression de grêle verticale. Bruits de percussions très sèches. Combien de temps quelqu’un survivrait t-il dans cet enfer s’il était livré à ce supplice, le supplice des balles de golfe…Faut il être vicieux pour penser à des choses comme cela ? A côté de moi qui délire, un japonais sirote tranquillement sa bouteille de thé vert en se reposant.
Les japonais sont férus de Golf. Il y’a de la finesse, de la force retenue, de la patience, de l’habilité, de l’intelligence ainsi qu’une compétition sans pitié dans ce sport de culottes courtes. Ce sport serait il inspiré par Confucius, serait il en harmonie avec la mentalité nippone? On peut également expliquer le succès du golfe par le prestige qui s’y attache. Les riches japonais le pratiquent ne serait ce que parce que cela fait partie de la panoplie avec laquelle il est bon de s’afficher. La grosse bagnole, le golfe sont des incontournables dans un pays où le regard des autres est si important. Il faut se conformer aux attributs de sa classe et en adopter les codes.
En effet, au Japon comme ailleurs, la pratique de ce sport concerne davantage les cadres sup, les professions libérales que les prolétaires. Le prix de cette activité, le matériel, les déplacements souvent lointains vers les greens et l’environnement social auquel appartiennent les aficionados de la boulette blanche peuvent dissuader le tout venant d’aller piétiner le gazon.
En revanche, tous les salary man se doivent de s’initier à cette pratique raffinée. Un coach m’expliqua un jour qu’au Japon beaucoup de contrats se règlent entre businessmen, aussi bien sur les greens que dans l’atmosphère confinée des bureaux climatisés.
Par conséquent, le Japon est un des pays où l’on joue le plus au golfe. Il y’a des practices et des greens partout dans le pays. Encore un paradoxe nippon : le pays est plutôt petit en superficie, environ 300 000 km2, par rapport au nombre élevé de ses habitants, 127 millions. Les japonais répètent souvent qu’ils vivent dans un espace trop petit dans lequel ils se sentent à l’étroit. Or un terrain de golfe de 9, 18 et même parfois 27 trous est extrêmement gourmand en espace, et il y’en a des myriades…
Cette abondance est liée au niveau de vie du pays. Le Japon importe une grande partie de la nourriture qu’il consomme mais utilise ses terres comme terrain de jeu pour sa bourgeoisie. Pourtant cela ne suffit guère et beaucoup de japonais s’envolent vers Guam, les îles d’Hawaï, la Californie ou d’autres contrées lointaines pour swinguer sur l’herbe.
Après nos exploits sportifs mes commensaux me proposent un diner. Ils ont une adresse en tête. Nous prenons le métro mais l’établissement est déjà plein. Il y a quarante minutes d’attente. Nous sommes bien à Tokyo : quand quelques choses plait, est à la mode, il y’a toujours de l’attente et des queues interminables. Pourtant il est seulement 18 heures.
Les japonais ont l’habitude de manger tôt. Loin de nos rythmes latins, ils sont plus proches des rythmes Anglos saxons. En Ecosse, je me souviens, les familles d’accueil servaient les repas parfois à 17heures 30. Tombée de la nuit, vent, paysage désolé…Aux Antilles aussi, le rythme n’est pas si différent. Le soleil se couche très tôt, caractéristique des basses latitudes. On en suit le rythme. Les boutiques ferment à 18 heures, les gens mangent et se couchent. A 21 heures plus un bruit, jusqu’au lendemain où la vie reprend à l’aurore…Dès 5 heures du matin.
A Tokyo, cette précocité est aussi une nécessité à cause des transports en commun qui s’arrêtent vite. A 23 heures 30 voire minuit pour quelques lignes. Ensuite, le métro s’endort jusqu’à 5 heures 30 le lendemain. Cela fait la fortune des taxis mais pour beaucoup de tokyoïtes, vue leur prix élevé, 40 euros pour une course moyenne, il vaut mieux conformer son planning aux heures de circulation des transports en commun. En semaine, Tokyo semble endormie dès 23 heures. Le weekend end, les rues se vident assez vite aussi, même si beaucoup choisissent de se blanchir la nuit dans la multitude de Karaoké, bars ou boites. Evidemment, pour les autorités, à cause du lobby des taxis doublée d’une volonté de contrôle sociale, il n’est pas question de permettre à cendrillon de rentrer plus tard en métro.
Après avoir fait chou blanc dans le premier établissement, mes comparses me proposent de d'aller s’attabler dans un resto shabu shabu de Shinjuku qu’ils connaissent. Pour l’équivalent de 25 euros, on peut manger et boire à volonté pendant 90 minutes. Je n’en reviens pas compte tenu de la qualité des produits et des boissons, les marques habituelles au Japon étant disponibles. S’en suit une bonne bombance comme je les aime.
Le shabu shabu est une sorte de fondue bourguignonne japonaise, mais sans friture. Des fines tranches de viande de bœuf ou de porc arrivent sur les plateaux. Nous les plongeons dans des bouillons délicieux pleins d’aromates et de saveurs incomparables. Le bœuf est assez gras, la viande est striée de petites veinules blanches, mais délicieuse. Les japonais l’aiment comme cela. On m’explique que la répartition homogène de la graisse dans la chaire est accentué par les massages des bestiaux, qui en développe la tendresse. Ca doit être cool d’être un bœuf japonais. Celui élevé près de Kobé a la meilleure réputation. Nous alternons nos bouchées carnassière avec de grandes lampées de champignons et de légumes qu’on trempe aussi dans le bouillon. Le tout prétexte naturellement à de grandes lampées de Saké japonais. Cet alcool de riz est délicieux, plus léger que son homonyme chinois qui est distillé et bien plus fort. Nous commandons aussi du Shochu , un alcool de pomme de terre qui nous aide à digérer les grandes pintes de bières japonaises que qui se bousculent sur la table, Asahi et Sapporo notamment, excellentes légères, non amère à la mousse subtile et aérienne.
Fin des 90 minutes non stop... Comme d’habitude, impossible de payer. S’ils vous proposent un resto, les japonais vous invitent inévitablement. Grande tradition de l’hospitalité nippone.
Toute cette histoire de saké et autres m’a bien chauffé. On part se déchaîner au Karaoké Je me lâche sur Stevie Wonder, you are the sunshine of my life… Tout compte fait, je préfère le swing de Stevie à celui de Tiger Wood.

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