Rien de tel pour résorber l’opacité du jour qui vient après
la nuit, blanche, que de lamper à gros bouillons du café noir, avant de
caparaçonner son corps à grand renfort de thé vert.
Deux
jours de septembre fondus et enchaînés. Le soleil qui frémit dans l’horizon
encore sombre est en train d’anéantir la nuit qui agonise. Nuit dont les
agencements s’effondrent devant l’ennui des compromis diurnes. Une petite brise
matinale fait cortège au soufflement des pneus sur l’asphalte qui commence à
imprégner l’atmosphère d’une couleur fonctionnelle. Les noctambules
déguerpissent vers les antres mutagènes des métros. Certains s’endormiront sur
les sièges dans les rames, exténués par les heures volées à Morphée. Quelques
égarés cuvent l’ambroisie de la nuit vautrés contre un arbre, une porte de
parking ou le caniveau d’un trottoir. Et pas de prédateurs pour les proies
paumées du petit matin dans la métropole de l’hyper-sécurité. Des fantômes
titubent à l’horizon. Ils cabotent le long des rues de Léthé, trébuchant
continuellement contre des obstacles imaginaires puis changent de trajectoire
comme des papillons brûlés. Des yeux exorbités semblent s’égarer dans
l’écheveau de la réalité consensuelle qui pointe. Des grappes de fêtards agitent
la torpeur de l’aube et donnent à la nuit ses dernières babilles et ses plus
belles notes d’illusion, d’amour et d’unanimité.
Je déguste chaque seconde de ces moments chats gris. Je lape les sentiments qui
s’échappent des âmes qui baissent la garde. C’est sans doute cette
réconciliation, cette harmonie que cherche le noctambule lassé des prêchi
prêcha des jours trop clairs et prosaïques.
Assis à la terrasse d’un café, je savoure les images des heures finies rémanentes
qui brillent encore dans ma tête. Les danses urbaines et tribales vibrent dans
mes jambes, les séductions ténébreuses font une écharpe à mon cœur insatiable.
Je commande un petit noir et laisse mon esprit s’envoler. Je me sens
immensément bien dans les volutes caféinées si habiles pour nous laisser
supporter le début d’une journée qui ne nait pas du sommeil.
J’aime ce noir qui résonne à la surface de la tasse, blanche comme ma nuit. La
petite anse, le miroir de faille du café qui tangue et gite dans son écrin. Je
le sens s’enfoncer dans mes entrailles qui se drapent de l’épaisse texture
analgésique à la chaleur tranquille. L’âcreté corsée du brûlé râpe ma langue, s’y
obstine. Le café dure après, accompagne longtemps, fidèle serviteur de ceux qui
l’usent, le café, philtre sensuel qui rassérène et nous épaule.
Les japonais sont aussi des buveurs de café. On en trouve à foison dans la
myriade de distributeurs automatiques de boissons qui jalonnent les trottoirs
de la ville, sans jamais qu’un seul ne soit vandalisé. Au Japon, on ne détruit ni
pour le plaisir ni par rancœur, ce serait perdre la face.
Les cafés à l’européenne font aussi florès. On le sert sous différentes
coutures, accompagnés ou non de viennoiseries ou d’autres pâtisseries inspirées
d’occident.
La plupart de ces lieux sont des avatars appartenant aux grandes enseignes
américaines comme l’innommable mondialisé Starbuck…Dommage
de voir les japonais succomber au plaisir du café entre de si mauvaises tasses.
Rien de pire que ces établissements
uniformes qui vendent trop cher un café médiocre, manière fast-food. Pas de
serveurs avec qui échanger quelques mots mais des caissiers qui encaissent.
Juste le bruit des pièces qui tombent mécaniquement dans le tiroir caisse. Et pourtant
quel breuvage est plus poétique que le café ? Mérite t-il vraiment
ces cartons sans soucoupe qui donnent au
café si mauvais goût et annulent la sensation délicieuse des lèvres posées sur
la faïence ou la porcelaine ? Que dire en fin de journée des poubelles
pleines de ces myriades de gobelets jetables qui viennent larder un peu plus la
planète. Sacrilège de rendre des ordures pareilles à celle qui nous comble de
ses grains magiciens.
Je ne vais pas dormir. J’ai rendez vous avec Toshiaki à dix
heures pour une grande ballade dans Tokyo. Mon sommeil s’éteint déjà sur mon
bonheur d’être et d’être là, sur ma
gratitude envers la providence et envers mon café noir, panacée contre le gris
que donnent au jour des yeux fatigués qui clignent inéluctablement.
Toshi me retrouve à l’hôtel. Engouffrement dans le métro. Partout ces
fameux distributeurs aux vitres immenses
montrant les spécimens des trésors de fioles qu’ils contiennent. Peu de coca-cola
et autres sodas ultra sucrés en comparaison de la palette de thés, cafés et
eaux minérales disponibles. J’introduis
cent vingt yens dans le distributeur lumineux d’une blancheur intense à cause
des puissants néons dont il est paré. Une bouteille de thé vert tombe avec
fracas dans le bac de récupération au bas de l’appareil. Il est sans sucre,
donc réellement désaltérant et tellement sain ! Les japonais n’aiment pas
autant le sucre que les occidentaux. Pendant longtemps il était quasi inconnu
sur l’archipel alors que depuis des siècles nous avions l’or brun des Antilles
et le sucre du Proche Orient que les croisades avaient mené sur les tables des
plus riches. La «dent sucrée » des japonais, pour reprendre l’expression anglo-saxonne
qui désigne l’amateur de choses
liquoreuses, n’est donc pas aussi cariée que chez nous, même si les industriels
de l’agro alimentaire s’emploient à pervertir leur régime alimentaire. Nonobstant
le thé vert reste une des boissons les plus goutées aujourd’hui encore, y
compris des jeunes générations. On le trouve déjà infusé dans des bouteilles de
plastiques de toutes capacités en vente partout, dans les distributeurs
automatiques comme au supermarché. Il se boit le plus souvent frais et sans
sucre. Rien à voir donc avec l’ignoble Icetea
qui s’est employé à corrompre le goût du thé chez les profanes d’occident. Dans
les restaurants, c’est encore du thé vert nature que l’on sert souvent
gratuitement et à volonté pour accueillir les clients. On le consomme en toute
occasion et en grande quantité. Il en existe de plusieurs qualités, proposant
différentes concentrations des précieuses substances que sont les polyphénols
et les catéchines, des puissants antioxydants aux vertus anti cancéreuses,
efficaces contre les risques cardio-vasculaires et peut être préventif contre
la maladie d’Alzheimer. C’est quoi déjà le nom de cette boisson…Ah oui thé
vert…Tiens reprends en une tasse mon coco... Le thé vert serait ainsi un des
secrets de la longévité des japonais dont l’espérance de vie est la plus forte
au monde. 85 ans pour les femmes ; 78 ans pour les hommes. Le Japon est
aussi le pays qui possède le plus de centenaires après la …France ! Thé
vert ou vin rouge, même combat ?
Les japonais sont pratiquement tous minces. Caractère si
partagé qu’il étonne tant l’obésité est devenue une tarte à la crème dans nos
contrées. On peut expliquer la ligne des japonais par leur régime alimentaire
et leur consommation modérée de sucre. La consommation de thé vert joue aussi
probablement son rôle. Elle accélère la dépense énergétique de l’organisme et
fait maigrir, certes au prix d’une augmentation de la pression artérielle.
Enfin, la pesanteur sociale et l’autodiscipline des japonais, très à cheval sur
leur apparence, jouent à plein pour les dissuader de se laisser pousser des
jambes de percherons. Le Japon : un pays de silhouettes pareilles au
profil des feuilles miraculeuses.
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